Rencontre avec Laurant Weill
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Avant de commencer, nous souhaiterions remercier en premier lieu Laurant Weill et sa famille, pour leur gentillesse et leur accueil chaleureux, ainsi que Starlord et Batjijo pour avoir permis cette rencontre.

Ce 6 juin, Zappy et moi-même avions rendez-vous Porte Maillot (Paris) car Victor devait nous prendre en voiture et nous emmener en campagne. Nous étions heureux car Monsieur Weill, fondateur entre autres de Loriciel, avait accepté de nous recevoir pour nous parler de sa société, et nous prêter quelques éléments qui pourraient venir garnir notre collection de scans. Nous ne nous doutions pas des trésors que nous allions y voir. Après être sorti de Paris, nous nous dirigeons donc vers une maison qui se trouve quasiment au milieu de nulle part, un véritable havre de paix pourrait-on dire. Et nous sonnons à la porte de notre hôte.

Deux gros chiens viennent à notre rencontre, suivi des maîtres des lieux, Madame et Monsieur Weill. Nous sommes impressionnés et tels des collégiens devant leur idole, nous nous présentons timidement. Laurant Weill nous propose de nous diriger directement dans sa cave, et une fois arrivé, nous sommes devant plusieurs boites et cartons qu’il nous avoue ne pas avoir ouvert depuis au moins 10 ans. De nombreuses boites sont encore sous blister et ont plus de 20 ans. L’excitation commence à montrer le bout de son nez.

Juste avant de commencer, il nous parle de sa nouvelle société, Visiware. A la fin de Loriciel, Laurant Weill souhaitait faire un break. Malgré tout, il crée en 1994 cette société de jeux vidéo pour la télévision interactive, le mobile et l’internet. Il est actuellement le leader mondial, distribuant ses jeux dans plus de 70 pays, touchant plus de 200 millions de téléspectateurs. D’ailleurs, fièrement il nous dit que depuis peu, on peut commencer une partie sur la télévision et la continuer sur le mobile plus tard. Je me permet de lui dire que cela doit lui faire bizarre que Visiware, leader mondial, est moins connu que Loriciel, société qui est malheureusement morte depuis presque 18 ans. Il me sourit mais on sent que cet homme ne recherche pas la reconnaissance mais le plaisir de concevoir. Cela se confirmera plus tard…



Nous nous essayons autour et Laurant commence à ouvrir le premier carton. Il s’arrête à nouveau pour nous dire que Loriciel a commencé en septembre 1983, après avoir réussi avec une boutique qui ne vendait que des logiciels Oric (le nom était Ellix). Il était devenu le premier importateur, et c’est tout naturellement que Loriciel (contraction de Logiciel et Oric) est né. Pour le nom, c’est madame qui l’a trouvé. D’ailleurs, je vous dis Loriciel mais au début, la société s’appelait en réalité Loriciels avec un S ! C’est vers 1987 qu’il perdra son S pour une question de simplification.
Loriciel n’est pas la seule société à laquelle Laurant Weill a participé (ou a aidé, ou a créé). Microids, Lankhor, Broderbund Europe, Ere Interactive, Evolution… Cet homme est modeste mais on pourrait presque le considérer comme le papa du jeu vidéo français dans les années 80.

Nous nous replongeons dans ce premier carton. C’est assez amusant car à chaque fois qu’il prend une boite en main, il a une anecdote à nous raconter. Nous savions beaucoup de choses car monsieur Weill a déjà donné quelques interviews à d’autres sites rétro, mais c’est un plaisir de l’entendre de sa bouche Malgré tout, nous découvrons de nouvelles choses, et c’est là que cela devient intéressant.

Laurant Weill sort donc quelques cassettes Amstrad, des jeux et des utilitaires complètement inconnus. Il nous dit d’ailleurs qu’on risque de voir beaucoup de choses inédites. Et tout de suite, une nouvelle anecdote. Laurant nous parle du packaging. Comme on pouvait le constater, les boites avaient le même gabarit. En effet, Loriciel était allé voir les « concurrents » pour essayer de se mettre d’accord sur un modèle, afin de faciliter la mise en rayon et la présentation. Et il regarde une pochette et nous dit : au plus fort, nous étions 70 salariés environ, et nous avions nos propres illustrateurs (3) pour réaliser les pochettes. Mais regarder, certains textes étaient encore réalisés à la machine à écrire. Nous avons tous eu un tendre sourire.
En parlant de l'emballage, on en vient bien entendu à la duplication des cassettes. Loriciel faisait appel à une connaissance qui ne reproduisait pas forcément que des cassettes de jeux vidéo, loin de là. Il fallait faire attention car un logiciel pouvait être reproduit au minimum à plus de 10000 exemplaires (ce qui est déjà énorme, même aujourd'hui). Comme cette personne n'était pas toujours rigoureuse, l'équipe de Laurant faisait régulièrement des vérifications, et heureusement ! car en effet, une fois, à la place d'un lot de cassettes Loriciel, ils se sont retrouvés avec un lot de musique marocaine. La surprise aurait été désagréable pour le client.

D'ailleurs, en parlant du nombre d'employés, ils faisaient tout et devait tout développer. Jusqu'à la hotline. Et un jour, une personne avait un soucis avec un driver d'imprimante écrit par Loriciel. Après avoir fait plusieurs essais par téléphone, il est demandé au client d'envoyer une copie de la disquette. Loriciel reçu alors par courrier un photocopie de la disquette. Autre anecdote. On demande au client de frapper sur le clavier F4. Le client s'emporte car il fait ce qu'on lui demande depuis des minutes sans succès. Mais il fallut toute l'astuce du technicien pour comprendre que la personne n'appuyait pas sur la touche F4 mais sur les touches F et 4...

Et le déballage continue. Nous nous étonnons tous les 3 du nombre d’utilitaires que Loriciel a pu sortir… pour Amstrad, Oric, TO7, MO5… Je demande si c’étaient les outils de conception de loriciel qui étaient ensuite vendus sur le marché au grand public. Et Laurant me le confirme. D’ailleurs, il nous sort Loritel, un logiciel pour amstrad qui permet d'utiliser le minitel comme modem, avec un cable magique développer par leur soin, mais le plus important reste le traitement de texte, qui sera le plus vendu de la décennie. On oublie que Word n’a pas été le seul traitement de texte. On prend alors conscience de la place que pouvait prendre ce « petit » éditeur français.

On continue notre voyage dans les jeux avec Skweek. Personnellement, c’est le jeu Loriciel que je préfère, car je jouais longuement sur mon Atari ST étant gamin. Donc voir l’un des papas m’en parler m’a fait un grand plaisir. Et lui-même en parlait avec grand plaisir. Surtout que ce jeu a été porté sur de nombreuses machines. Et c’est là qu’il nous sort une version japonaise pour PC Engine. Pour nous, un document rare bien entendu. Il nous parle aussi des suites, jusqu’à la dernière version, Tiny Skweek, réalisée par Kalisto, société créé par Nicolas Gaume, qui a fait ses débuts chez Loriciel.



Après avoir vidé le premier carton, Zappy demande s’il était facile de créer un jeu vidéo à l’époque. Et Laurant nous le confirme. Une seule personne, durant 6 mois, pouvait faire un jeu vidéo complet. Le créateur était développeur, graphiste, bruiteur, musicien, game designer. Maintenant, les jeux sont réalisés par de grosses équipes, parfois même par plusieurs sociétés spécialisées dans certains domaines pour la représentation 3D des humains ou les textures… Même la distribution a changé. Par contre, nous tombons sur un document qui montrait déjà que les créateurs de logiciels devaient se battre contre les pirates, et en 1985, ils avaient déjà baissé les bras… mais ils continuaient à créer pour leur public, ce qui pour nous est une belle leçon de courage.

Loriciel a créé beaucoup de choses, l’innovation était au cœur de leur business. On tombe d’ailleurs sur une boite du jeu Jim Power qui était vendu avec des lunettes 3D. Laurant Weill était allé jusqu’à voir un spécialiste des yeux pour savoir si cela n’allait pas posé problème. Faire construire un pistolet pour West Phaser, toute une aventure avec les Taïwanais, la voiture Majorette aux couleurs de Loriciel, tout allait dans le même sens.



Par contre, l’innovation avait des limites, on sent Laurant amusé. Il nous raconte qu’une femme trouvait les éditeurs de logiciels macho. Elle lui proposa donc de développer un logiciel de recettes de cuisine. Mais Laurant lui a répondu qu’il était difficile de mettre un ordinateur dans la cuisine, et que pour passer à l’étape suivante, taper sur la barre Espace avec les mains pleines de farine était déconseillé. (cela fait sourire maintenant qu’on a Recettes de Cuisine sur DS, une des meilleures ventes de Nintendo en 2008).

Tout en déballant les cartons suivants Laurant Weill poursuit ses anecdotes. Ses équipes étaient très soudées. C’était une famille. Et ils se faisaient des blagues. Comme par exemple, à l’époque, le nombre de couleurs à l’écran était limité. Mais un graphiste vient se plaindre à Laurant disant que Vincent Baillet (Développeur chez Loriciel) ne pouvait pas lui donner plus (normal, ce n’était pas possible) Mais le reste de l’équipe lui avait répondu que Vincent n’était pas sympa, car si ce graphiste travaillait avec eux, il aurait le droit à plus de couleurs. Après avoir ri, Laurant expliqua que Vincent n’y était pour rien, mais cela ne convainc pas le graphiste qui lui en aurait voulu encore longtemps.



Nous tombons sur un énorme trésor, la boite française du jeu Prince de Perse, autrement dit Prince of Persia. Nous nous passons tous les 3 la boite, que nous trouvons superbes (on est des gros geeks, on le sait). Mais j’ai en tête que nous ne proposons sur Abandonware France que la version anglaise de ce hit !!! Et à l’intérieur, on y trouve bien les disquettes originales en français ! haaaaa ! Avant que quelqu’un ne me dise « mais ce n’est pas Loriciel qui a développé Prince de Perse, mais Jordan Mechner ! », je lui dirais qu’il a raison, mais c’est bien Loriciel qui l’a distribué sur notre territoire, car Loriciel, en plus d’être éditeur et importateur, était distributeur.

A déballer tous ses jeux, nous en arrivons à lui demander s’il a un jeu favori, et il nous répond assez rapidement L’aigle d’or, West phaser, 5ème axe… mais il s’attarde sur Sapiens. Tout de suite, ce titre nous dit quelque chose, ce jeu formidable qu’aucun de nous n’avait pu finir à l’époque car il était d’une grande difficulté.

Après plus d'une heure dans la cave, nous remontons avec tous nos trésors en main. Dans le salon, il termine par nous donner la voiture Loriciel, petite maquette réalisée en 4 mois par Majorette (ce qui avait été une gageure d’après Laurant). Il nous montre aussi un dernier document, ce sont les photos du Harricana, une compétition qui se passait dans le grand nord canadien. Il était très heureux d’avoir pu participer à cette merveilleuse aventure (ll nous avoue avoir acheter un petit pied à terre là-bas) et il nous amuse car il nous montre la photo de sa tente, où il avait mis un petit panneau : A louer. Cela avait permit de faire parler de leur équipe. Concernant le jeu vidéo, il devait sortir en même temps que cette compétition, mais déjà, les retards ont fait que cela avait été impossible, et comme nous le faisons remarqué, plutôt que de le sortir puis de le corriger après avec des patchs, ils repoussent la sortie du jeu, bien après tout le battage médiatique, ce qui fait que le jeu n’eut pas un grand succès.

Nous sortons, et au portail, au moment de partir, il nous raconte une dernière blague. C’était vraiment de grands déconneurs !!! Un nouveau responsable des stocks venait d’arriver et les développeurs lui demandent de trouver de l’encre pour le stylo du MO5. Pour ceux qui ne savent pas, comme ce responsable qui couru dans tout Paris pour trouver l’impossible, ce fameux stylo est un accessoire pour l’ordinateur MO5, et c’est bien entendu un stylo électronique.



Nous quittons Laurant Weill et sa famille les bras chargés et heureux, je dois préciser aussi qu'il nous a prêté tous les logiciels et boitiers sans contre-partie, sans nous connaitre, en toute confiance.
Cette plongée dans le passé, notre enfance, une partie de l’histoire vidéo ludique, nous a ravi.
Monsieur Laurant Weill est pour nous l’un des papas du jeu vidéo français, un grand homme modeste qui a contribué à jeter les bases de ce qu’on connaît maintenant.





















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